Le vocabulaire de la souffrance au travail s'est considérablement enrichi ces dernières années. Au-delà du désormais célèbre burn-out, deux autres syndromes ont émergé dans le paysage des risques psychosociaux : le bore-out et le brown-out. Pour les responsables RH de PME, cette multiplication des termes peut créer une certaine confusion. Comment distinguer ces trois formes d'épuisement professionnel ? Quels signaux doivent alerter ? Et surtout, comment mettre en place une prévention efficace qui couvre l'ensemble de ces risques ?
Trois syndromes, trois mécanismes distincts
Imaginez trois collaborateurs assis côte à côte dans un open space. Le premier croule sous les dossiers et répond à des sollicitations incessantes. Le second n'a pratiquement rien à faire de la journée et regarde sa boîte mail désespérément vide. Le troisième exécute mécaniquement des tâches dont il ne perçoit plus l'utilité. Ces trois situations, bien que radicalement différentes, peuvent toutes conduire à un épuisement professionnel sévère.
Le burn-out, selon la définition retenue par la Haute Autorité de Santé et reconnue par l'Organisation Mondiale de la Santé depuis 2019, constitue un syndrome d'épuisement physique, émotionnel et mental résultant d'un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel. Le mécanisme sous-jacent repose sur un déséquilibre chronique entre les ressources de l'individu et les demandes qui lui sont adressées. Le modèle de Karasek illustre parfaitement cette dynamique : une forte demande psychologique combinée à une faible latitude décisionnelle et un soutien social insuffisant crée un terreau fertile pour l'épuisement. Concrètement, le salarié en burn-out s'est épuisé à force de trop donner, de trop s'investir, sans parvenir à récupérer ni à poser des limites.
Le bore-out, conceptualisé par les consultants suisses Peter Werder et Philippe Rothlin en 2007, représente le miroir inversé du burn-out. Ce syndrome d'épuisement par l'ennui survient lorsqu'un collaborateur est chroniquement sous-stimulé, privé de missions valorisantes ou confronté à une inadéquation flagrante entre ses compétences et les tâches qui lui sont confiées. L'INRS souligne que ce phénomène prend racine dans les réorganisations successives qui laissent parfois des services entiers sans mission bien définie. Le paradoxe du bore-out réside dans cette fatigue intense générée par l'inaction : le cerveau, privé de stimulation cognitive, s'épuise dans l'attente et le doute. Une étude britannique intitulée "Bored to death" a même établi que les salariés souffrant d'ennui chronique présentaient deux à trois fois plus de risques d'accidents cardiovasculaires que leurs collègues dont l'emploi était stimulant.
Le brown-out, terme popularisé par l'anthropologue David Graeber en 2013, désigne quant à lui une forme de désengagement liée à la perte de sens au travail. Comme le précise le Ministère du Travail, ce syndrome renvoie à une perte de sens perçue dans l'activité professionnelle, entraînant un désengagement et une exécution des tâches de manière automatique. Le collaborateur en brown-out continue de fonctionner, parfois à un niveau de performance acceptable, mais il a perdu toute connexion émotionnelle avec sa mission. Cette baisse de tension psychologique, pour reprendre la métaphore électrique à l'origine du terme, peut s'avérer particulièrement insidieuse car moins visible que les deux autres syndromes.
Tableau comparatif des manifestations cliniques
Pour faciliter l'identification de ces trois syndromes, il convient d'examiner leurs manifestations caractéristiques respectives.
Sur le plan énergétique, le collaborateur en burn-out présente un épuisement total et une incapacité à récupérer malgré le repos. Le salarié en bore-out souffre d'une fatigue paradoxale, épuisé de ne rien faire, tandis que celui en brown-out manifeste une fatigue diffuse accompagnée d'une apathie générale.
Concernant la relation au travail, le burn-out se caractérise par un sentiment d'être submergé et une perte de contrôle. Le bore-out génère un sentiment d'inutilité et de frustration face au manque de sollicitation. Le brown-out produit un détachement émotionnel et une exécution mécanique des tâches.
Les symptômes cognitifs varient également. Le burn-out entraîne des difficultés de concentration et des erreurs inhabituelles liées à la surcharge. Le bore-out provoque un ralentissement cognitif et une rumination anxieuse dans le vide laissé par l'inactivité. Le brown-out se manifeste par un désintérêt intellectuel et une absence de projection dans l'avenir professionnel.
Les manifestations émotionnelles diffèrent aussi significativement. Le burn-out s'accompagne souvent de cynisme, d'irritabilité et d'un sentiment de culpabilité. Le bore-out génère de la honte, un sentiment de dévalorisation et une anxiété liée à la crainte d'être découvert. Le brown-out produit un détachement froid, une perte d'enthousiasme et parfois un questionnement existentiel profond.
Les facteurs de risque organisationnels
Comprendre les causes organisationnelles de ces trois syndromes permet d'orienter efficacement les actions de prévention. Si les manifestations individuelles diffèrent, les racines sont souvent à chercher du côté de l'organisation du travail et du management.
Le burn-out prospère dans les environnements caractérisés par une charge de travail excessive et chronique, des objectifs irréalistes ou constamment revus à la hausse, un manque de reconnaissance malgré les efforts fournis, une culture d'entreprise valorisant le présentéisme et le surinvestissement, ainsi qu'une frontière floue entre vie professionnelle et vie personnelle, particulièrement exacerbée par le télétravail. L'INRS et l'ANACT identifient également comme facteurs de risque la confrontation à des injonctions contradictoires, le manque d'autonomie et l'insuffisance de soutien managérial.
Le bore-out trouve son terreau dans des configurations organisationnelles différentes : une mauvaise répartition des tâches laissant certains collaborateurs sous-employés, des restructurations ayant vidé certains postes de leur substance, un management peu exigeant ou absent, des procédures bureaucratiques étouffant toute initiative, ou encore une surqualification systématique au recrutement sans perspective d'évolution. La pratique de la mise au placard, reconnue juridiquement comme pouvant constituer une forme de harcèlement moral par la Cour d'appel de Paris en 2020, représente une forme extrême de ce syndrome.
Le brown-out émerge particulièrement dans les contextes où la vision stratégique n'est pas partagée avec les équipes, où les collaborateurs ne perçoivent pas l'impact de leur contribution, où les tâches administratives ont envahi le quotidien au détriment du cœur de métier, où les valeurs affichées par l'entreprise sont en contradiction avec les pratiques réelles, ou encore dans les métiers que David Graeber qualifiait de "bullshit jobs", ces emplois dont l'utilité sociale semble difficile à établir.
Une approche intégrée de la prévention
Face à la diversité de ces risques, une PME ne peut se contenter d'actions ponctuelles ou ciblées sur un seul syndrome. L'enjeu consiste à développer une stratégie de prévention globale qui agisse simultanément sur les différents leviers organisationnels.
La première étape indispensable consiste à objectiver la situation. Comment savoir si vos équipes sont exposées à l'un ou plusieurs de ces risques sans disposer d'indicateurs fiables ? Les outils de diagnostic comme le baromètre QVCT de Dupsy permettent de mesurer précisément les facteurs de risque présents dans l'organisation : charge de travail perçue, niveau de sens au travail, qualité des relations professionnelles, adéquation compétences-missions. Cette photographie régulière de la santé mentale des équipes constitue le socle de toute démarche de prévention efficace.
L'évaluation doit cependant s'accompagner d'actions concrètes sur l'organisation du travail. Pour prévenir le burn-out, cela implique de réguler la charge de travail, de clarifier les priorités, de respecter le droit à la déconnexion et de développer l'autonomie des collaborateurs. Pour éviter le bore-out, il s'agit de veiller à l'adéquation entre les compétences et les missions, de proposer des perspectives d'évolution et de stimuler l'initiative. Pour prévenir le brown-out, l'enjeu porte sur la communication du sens, le partage de la vision stratégique et la mise en lumière de l'impact concret du travail de chacun.
La formation des managers constitue un autre levier essentiel. L'encadrement de proximité joue un rôle central dans la détection précoce des signaux d'alerte et dans la création d'un environnement de travail protecteur. Un manager formé saura identifier les signes avant-coureurs chez ses collaborateurs et adapter son management en conséquence : alléger la charge de l'un, confier de nouvelles responsabilités à l'autre, donner du sens aux missions d'un troisième.
Enfin, l'accès facilité à un accompagnement psychologique professionnel permet d'intervenir rapidement lorsqu'un collaborateur manifeste des signes de souffrance, avant que la situation ne se dégrade. La présence de psychologues du travail au sein du dispositif d'accompagnement garantit une compréhension fine des enjeux organisationnels et une prise en charge adaptée.
Obligation légale et intérêt économique
Au-delà des considérations éthiques, la prévention de ces trois syndromes répond à une double logique : réglementaire et économique.
Sur le plan juridique, les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail imposent à l'employeur une obligation de protection de la santé physique et mentale des travailleurs. Cette obligation, de résultat et non simplement de moyens, s'étend explicitement aux risques psychosociaux. Le burn-out, le bore-out et le brown-out, en tant que manifestations de ces risques, entrent donc pleinement dans le périmètre de responsabilité de l'employeur.
Sur le plan économique, le coût de la non-prévention s'avère considérable. L'INRS et Arts et Métiers ParisTech ont estimé le coût social du stress au travail en France entre 2 et 3 milliards d'euros. À l'échelle d'une PME, ce sont les coûts directs de l'absentéisme, du turnover, des erreurs et de la baisse de productivité qui pèsent sur la performance. Investir dans la prévention constitue donc un choix rationnel autant qu'humaniste.
Vers une culture de la prévention
La prévention du burn-out, du bore-out et du brown-out ne peut se résumer à la mise en place d'outils ou de procédures. Elle suppose un changement culturel profond qui place la santé mentale au cœur des préoccupations managériales.
Ce changement commence par la reconnaissance de ces risques comme légitimes et dignes d'attention. Il se poursuit par l'instauration d'espaces de dialogue où les collaborateurs peuvent exprimer leurs difficultés sans crainte de stigmatisation. Il s'incarne dans des pratiques managériales attentives à l'équilibre de chacun.
Pour les responsables RH de PME, l'enjeu consiste à passer d'une logique réactive, où l'on intervient une fois le problème déclaré, à une logique préventive, où l'on agit sur les causes avant l'apparition des symptômes. Cette transition nécessite des outils adaptés, une expertise en psychologie du travail et un accompagnement dans la durée.
C'est précisément cette approche intégrée que propose Dupsy : un diagnostic régulier via le baromètre QVCT, des recommandations d'actions personnalisées générées par un moteur intelligent, des formations pour les managers et un accès à des psychologues du travail pour les collaborateurs qui en ont besoin. Cette solution complète permet aux PME de se doter d'une véritable politique de prévention des risques psychosociaux, sans avoir à constituer une équipe interne de spécialistes.
Car au fond, qu'il s'agisse de burn-out, de bore-out ou de brown-out, l'enjeu reste le même : préserver la santé mentale des collaborateurs pour leur permettre de s'épanouir dans leur travail et de contribuer durablement à la réussite collective de l'entreprise.






